Rechercher dans ce blog

jeudi 19 juin 2014

Sans vainqueurs ni vaincus

La Coupe du monde 2014 de soccer pourrait inspirer les chefs d'état sur la manière de voir le monde : en effet durant l'été plusieurs nations s'affrontent sur des terrains beaucoup plus grands et souvent moins verts que ceux du Brésil. Présents dans les tribunes, plusieurs d'entre eux vont se serrer cordialement la main le temps d'un interlude rassembleur dans la compétition. Ils ne parleront pas de leur vision du monde; le moment est pourtant propice.

Sur l'échiquier mondial, après les éliminatoires diplomatiques qui durent toute l'année, les nations participantes sont celles qui finissent par entrer en guerre, soit ouvertement, soit officieusement ou indirectement. Guerre militaire, guerre économique, guerre d'influence.

Les matchs de phase de groupe qui se jouent à l'été 2014 sont, notamment :
Ukraine - Russie
Israël - Cisjordanie
Grèce - Allemagne
France - Centrafrique
États-Unis - Iran

Ces nations méritent un nombre incalculable de cartons jaunes pour un nombre tout aussi incalculable de tirs manqués, de blocus forcés qui atteignent des innocents. Des cartons rouges pour le non respect des lignes de démarcation. Le nombre de joueurs dans chaque équipe n'est pas règlementé, mais on pourrait instaurer une telle règle afin de tester la valeur réelle de chaque camp. Les conventions de guerre n'ont pourtant rien à envier aux règles de la FIFA quant au nombre d'articles et de clauses. Qu'à cela ne tienne, la Coupe du monde qui réunit 32 pays est un moment privilégié tant les regards d'un milliard de spectateurs n'attendent qu'un coup de sifflet pour sauter de joie. Les hymnes retentissent d'ailleurs comme nulle part lors les grandes manoeuvres politiques.

Une parenthèse : quand j'étais petit et que j'ai commencé à aimer le soccer à travers la course folle de Maradona en Coupe du monde 1982 pour tenter de répéter ses exploits de 1978, je rêvais d'avoir le maillot de son équipe. Un adulte de mon entourage m'avait alors fait remarquer que l'Argentine était en guerre avec l'Angleterre : porter ce maillot pouvait être remarqué. Je n'ai pas eu le maillot pour des raisons tout à fait différentes, mais tous les quatre ans, ce souvenir réapparait.

Les métaphores, oxymores et synecdoques sur le sport font souvent écho à la guerre. La guerre a elle même emprunté un peu de son vocabulaire au sport. Les parentés sont évidentes, et pourtant, on prend toujours soin de ne jamais confondre les deux. 

Peut-être que nous devrions y repenser, car comme la Coupe du monde qui a lieu tous les quatre ans, les guerres sont souvent à recommencer. La France et l'Allemagne se sont livrées deux fois la guerre, l'Angleterre et la France, trois fois. L'Ukraine a déjà bataillé durement avec la Russie, et l'Afghanistan ne sait même plus contre quel équipe elle se bat.

L'apparente légèreté de mon propos peut néanmoins vous inviter à méditer ceci : quel jeu jouons-nous réellement en tant que nations, en tant qu'individus - électeurs, citoyens munis de passeports, acteurs (soldat, décideur, opposant), spectateur (par choix ou forcé)? Après tout, nous sommes impliqués, quoi qu'il arrive.

À Rio je souhaite la victoire de l'Argentine, comme toujours.

À l'ONU, je ne serai pas aussi rêveur.

© Stéphane Aleixandre (2015)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire