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mercredi 12 septembre 2012

Question de sécurité (deuxième partie)


La clé et le miroir, ces grandes inventions.

La sécurité à laquelle nous sommes, nous occidentaux, le plus attachés est celle que j'appelle la sécurité médicale. Notre crainte de voir notre corps, notre vie, soumis à la douleur, à la maladie et à la mort nous est tout simplement insupportable.

Déjà, dans le ventre de notre mère, déjà avant la naissance, nous sommes médicamentés, pesés, scannés. Moléculés. Le premier à te toucher quand tu vois le jour porte des gants, un masque, un uniforme. C'est ton médecin, ton sauveur, prêt à pratiquer une césarienne avec son scalpel argenté si tu es en danger, résolu à endormir la douleur via la colonne vertébrale de ta génitrice avec son pouvoir anesthésiant si c'est elle qui est en difficulté. Il te prends dans ses bras forts, te pèse, te soulève au firmament en te faisant pousser ton premier cri. Tu pleures, donc tu vis.

Filet de sécurité

Après cela, il te reste simplement à vivre et à passer entre les mailles du filet de l'existence, en assurant ta propre sécurité: ici un vaccin, là une pilule, pour ne pas tomber malade, pour éviter l'épidémie, pour entretenir la mémoire, pour prolonger le sommeil, pour retrouver ou couper la faim, la dépression, le rhume, la grippe du cochon, les rages de dents, celles qui poussent et celles qui tombent, quand tu grandis ou quand tu rapetisses, quand tu tombes, puis quand tu vas vers la tombe.

La sécurité médicale commence le matin et s'arrête le soir selon les rituels immuables dictés par le calendrier médical universel - l'ordonnance - et l'horloge pharmaceutique qui ne souffre d'aucun décalage - le pilulier. Le crucifix a cédé sa place au caducée sur les tables de chevet. Aujourd'hui, nos prières s'adressent à la croix rouge, la croix verte ou la croix bleu. Question de sécurité. Qui ne se souvient pas de sa première visite médicale au primaire, de sa première journée d'école manquée, de son premier plâtre devenu livre d'or? Qui peut oublier l'odeur d'un anesthésiant, de son premier tremblement de la main droite devenue gauche?

La sécurité médicale, c'est les prothèses d'une ère pré-clonage, et c'est aussi les brevets, les droits de propriété en quantité industrielle, les pharmacopées juridiques gargantuesques, une commercialisation rendue nécessaire par la démocratisation de la santé. Peut-on breveter nos cellules avant de donner nos organes? Peut-on troquer son rein droit et sa moralité contre une place réservée à l'hôpital? Le litre de sang est moins cher que le litre d'essence, c'est rassurant.

Sans farces, vous pouvez souffler! Finies les opérations à froid et les prothèses en bois (jambe, dent !), loin de nous les saignées, les poisons, le feu et le fer. Adieu, maigre espérance de vie, plantes indigestes et sorciers carencés. Sur terre, on stérilise.

(Placez ici votre miroir)


Je pense, tu panses...

Le corps c'est bien, mais la tête, comment va votre tête, mon cher ami? La sécurité psychologique c'est du sérieux! C'est mou et gris sous le crâne, mais ça travaille fort! Que voulez-vous, avec un corps qui a fini de survivre et qui a enfin trouvé le confort, la tête prend tout l'espace, le cerveau gonfle, l'égo boursoufle, déborde. Les idées de grandeur se bousculent au sommet de notre être comme ça c'est jamais su. La réflexion se dilate comme devant un miroir trop grand et trop vaste pour elle. (Voyez ce qu'un idéonaute peut bien penser et écrire, confortablement assis dans son fauteuil!)

J'entrevois une volonté de sécurité psychologique dans l'acceptation de la morale, des valeurs, des normes. Ce sont des véhicules porteurs de stabilité, de régularité, d'harmonie. D'ennui parfois, de besoin de voir ailleurs. Mais les transgresser - pour le pire comme pour le meilleur - n'est pas donné à tout le monde: pour ce faire, il faut remettre en question, renoncer au consensus, subir souvent les foudres de nos pères, proposer autre chose, renverser le miroir, quitte à le briser en chemin. La sécurité ou l'insécurité psychologique ne sont pas sans risque. On peut même dire qu'elles n'existent pas sans ce risque.

Alors, comment va votre tête mon cher ami? Besoin de rire, de chahuter la réflexion? Besoin d'une thérapie? Ya rien là! On s'allonge, on sort son alphabet favori et on déconstruit, on démonte, on éparpille délicatement chaque mot. C'est pas sorcier comme disait mon gourou. Il n'empêche que le risque est grand, à chaque fois que tu vas voir ton psy, de refiler ton malaise à ton portefeuille. On appelle cela un transfert.

À suivre...