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jeudi 7 juin 2012

Ce qu'on peut retenir du Printemps québécois

Apprendre le pouvoir


116 jours de contestation étudiante depuis le 13 février 2012
Les manifestations valent bien un cours d'histoire,
Les slogans valent bien un cours de communication,
Les négociations valent bien un cours de droit.

Le sursaut politique du Québec vaut bien une session étudiante ou parlementaire.

C'est une histoire de pouvoir. Une histoire de pouvoir qui est aussi l'histoire du pouvoir. Le pouvoir de transformer des idées, des opinions en un mouvement collectif, et d'y consacrer suffisamment d'énergie, de s'y investir avec suffisamment de conviction, pour qu'émerge un débat de société.

C'est l'histoire de pouvoir financer l'éducation, du pouvoir qu'a la société québécoise d'y consacrer ses ressources matérielles et intellectuelles, et le pouvoir pour elle, ainsi, de se régénérer.
C'est l'histoire de pouvoir accéder à la scolarité de son choix afin de pouvoir, demain, organiser son existence et ses idées. Le pouvoir de construire ses opinions, de pouvoir les exprimer et les défendre. Le pouvoir d'être étudiant ou ministre, d'être citoyen puis décideur, d'être conscient de son pouvoir.
C'est l'histoire du pouvoir des élus, ministres et représentants étudiants. Le pouvoir des gouvernants, qui n'est autre que celui de la population: il doit lui être destiné.

Le système scolaire enseigne tout cela. Il donne aux individus les outils pour articuler leur pensée, pour acquérir une juste vision du monde, pour traduire leur vision de l'existence en des opinions qu'ils sauront défendre, nourrir, élargir, échanger. Ce système scolaire, qui vaut une bonne école de la vie, forme des citoyens autant que des diplômés. Il leur apprend un savoir-faire, un savoir-penser, un savoir-dire. Il leur donne le choix de s'orienter dans un domaine particulier, de s'impliquer, de s'investir dans la société. Cette société qui a besoin de citoyens tout autant qu'ils ont besoin d'elle. L'un et l'autre pour pouvoir changer.
C'est l'histoire de pouvoir considérer notre système d'éducation comme un système de santé citoyenne.
Étudier, ce n'est pas perdre son temps, c'est gagner du temps sur notre avenir. Notre avenir individuel puisque collectif.

L'équilibre du pouvoir

Apprendre le pouvoir c'est comprendre d'abord que pour fonctionner il ne doit pas y avoir opposition mais corrélation entre l'état et la population. Il doit y a voir partage et transmission du pouvoir de la même manière qu'il doit y avoir échange et transmission du savoir. Que l'éducation soit au coeur de ce processus est une évidence. Qu'une partie des citoyens se révolte contre une décision du gouvernement fait partie des règles démocratiques.
Apprendre le pouvoir c'est ensuite comprendre qu'il ne fonctionne bien que par la négociation, le compromis, l'équilibre des forces et des décisions.

Le pouvoir fonctionne lorsque les citoyens manifestent leur opinion et leur intérêt (droit de grève et de manifestation, droit de vote aux élections, aux référendums), mais il ne fonctionne plus lorsque le gouvernement n'écoute plus la voix de ses citoyens ou qu'il agit à l'encontre de l'intérêt général (opacité, favoritisme, compromission, électoralisme.)

La crise étudiante au Québec nous rappelle tout cela. Elle nous rappelle qu'un enjeu simple (augmenter ou non les frais de scolarité de 2 168 à 3 946 $ sur sept ans) s'imbrique dans une réflexion plus vaste sur le pouvoir. Elle nous rappelle que cette mesure radicale aurait dû - dès le départ, en amont - faire l'objet d'un débat de société sur le financement des universités. Elle nous rappelle que le gouvernement actuel n'a pas démontré ni sa transparence ni sa capacité à justifier pleinement sa décision de diminuer la part du budget consacré à l'éducation et de hausser des droits de scolarité.
Elle nous rappelle que, même quand chaque partie respecte le jeu démocratique, la rue est, aussi bien que le parlement, le lieu où se joue parfois la négociation.

Le désengagement du pouvoir

Le gouvernement de Jean Charest a amorcé depuis plusieurs années un désengagement de l'état et un transfert de la charge financière au libre marché, tant dans le domaine de la santé, des infrastructures que de l'éducation et des ressources naturelles. En 2012, le pouvoir en place au Québec a confirmé son choix d'une orientation plus libérale voire plus conservatrice de la gestion de l'éducation.

L'initiative cruciale du gouvernement de faire porter davantage par les étudiants la charge du financement des études aurait dû, devant le mécontentement manifeste qu'une telle mesure a suscité, mener à la discussion. Or il n'en fut rien. À l'initiative étudiante de réclamer des négociations et le gel de ces frais ou une révision du mode de financement des universités, le gouvernement s'est tu et M. Charest est demeuré campé sur sa position.

Le premier ministre n'est pas uniquement le chef du gouvernement, il est également le premier médiateur de la province, fût-il partie prenante dans le débat. Si la solution demeure dans l'ouverture, la collaboration, et non dans la fermeture et l'opposition, il appartient ultimement au premier ministre, dans un tel contexte, de trouver le compromis qui garantira la paix sociale réclamée par la population du Québec.
En refusant de jouer ce rôle, M. Charest a laissé gronder la rue et a, de facto, muselé le gouvernement, tout en contraignant le pouvoir municipal à gérer au quotidien une situation instable. Dans un climat d'agitation populaire et d'impatience généralisée - prévisibles - la violence a émergée, émaillant provisoirement les manifestations d'incidents, radicalisant les opinions et les discours.
En durcissant par la suite sa position (force policière accrue, loi 78), il a laissé le débat sur les frais de scolarité se muer en débat idéologique, libérant une charge émotive longtemps contenue: aux manifestations étudiantes se sont ajoutées celles des citoyens, la casserole devenant la caisse de résonance d'un mécontentement général.

La reprise du pouvoir

C'est l'histoire de la persistance et de l'amplification inédites d'un mouvement attendu puis redouté.
C'est l'histoire du pouvoir des mots et des idées, le pouvoir des slogans, des pancartes et des images, le pouvoir des modes de diffusion éclatés, des réactions rapides et des discours cohérents, le pouvoir de la multitude et du mouvement, le pouvoir des propositions et des solutions réalistes.
C'est le pouvoir de dynamiser la démocratie, de dépasser les générations et les généralisations, de combiner les chiffres avec les mots, les budgets avec les ambitions collectives, le financement avec la socialisation, le pouvoir de réconcilier la politique avec le changement, les ambitions avec les talents, de lier, enfin le présent avec l'avenir.

Apprendre le pouvoir, et ne s'abstenir ni de choisir ni de voter.