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Les vies

Le 8 novembre 2011

Les vies

Sous ce titre, je m'exprime sur ma vie. Alors pourquoi utiliser le pluriel plutôt que le singulier?
Titrer cette rubrique La vie me semblant un peu trop facile, j'ai opté pour Les vies, un titre assez...singulier.
Parler de moi ne peut se faire sans parler de ceux qui m'entourent. Les vies s'impose donc.
Enfin, je vois la vie comme une succession de vies: l'enfance, la jeunesse, l'adolescence, la vie de célibataire, la vie de fils, de mari, de père, la vie intérieure, la vie publique, privée; Autant de directions qui donnent à notre vie l'architecture d'une étoile, d'un réseau se recombinant sans cesse. La vie ne rendrait pas justice aux vies dans lesquelles nous naviguons.
Vous remarquez qu'assez rapidement je suis passé du "je" au "nous": me voilà déjà embarqué dans Les vies.

Je ne vous promets que la curiosité.

Le 18 novembre 2011
Les vies 1 : Montréal, mon réel.

Mots clés: autobus, moustache, soleil, ville, inspiration, dans l'ordre ou le désordre.
Chiffres clés: aucun, dans l'ordre.

J'aime prendre le même autobus chaque matin. J'aime croiser les mêmes visages, les mêmes voisins de quartier qui, comme moi, inaugurent le rituel matinal de l'autobus 187 pour rejoindre le centre-ville de Montréal.
L'arrêt de bus que nous partageons est peu à peu devenu notre espace commun. Nous avons fini par nous y reconnaitre, et aujourd'hui, nous nous sourions parfois, les uns à côté des autres. Il suffit d'un simple retard de notre véhicule pour que nous commençoins aussitôt à nous parler. La première neige, je le sais, nous rapprochera inévitablement, et les mots sortiront d'eux même.

La semaine dernière j'ai souri à cet homme de mon âge qui arrive toujours deux minutes après moi. Il arborait une nouvelle et jeune moustache. Je l'ai accueilli par un sourire franc et plus ouvert que la dernière fois, car j'avais moi même songé à libérer la frêle pilosité au dessus de ma bouche. Il m'a répondu par un large sourire, déployant ainsi les ailes de sa moustache, ajoutant par le fait même les mots qui convenaient à notre discussion muette. Je n'ai pas osé lui dire que la résolution de me joindre, comme lui, au Movembre s'était envolée devant cette cruelle évidence: il me faudrait deux mois pour avoir le quart de sa moustache; mon appendice pileux ressemblerait alors au deux fils aiguisés que le toréador précieux arbore en guise de marque de distinction, et je ferais pâle figure (le mot est juste) devant le guidon de bicycle qui pousse comme du lierre sur ses joues comme sur celles des québécois. Question de gène et de gêne, donc.

Finalement, nous montons dans l'autobus 187, accueillis par le même chauffeur qui, lui, n'a pas besoin d'un prétexte pour exhiber fièrement un balai rudement fourni sous son nez. Je le salue comme chaque matin, et sa moustache me dit "bonjour!"

En route, j'observe Montréal se déployer progressivement sous mes yeux, à mesure que le spectre solaire encore allongé enflamme avec détermination le ciel, et tandis que les ombres, à présent fuyantes, s'étirent sans vertige. Des quartiers d'habitation, vers le centre ville, je lève tranquillement les yeux pensifs vers notre destination commune. Le paysage se transforme en douceur et le mouvement des individus, des groupes, des foules est souple, adapté, fluide. L'inspiration pour cette chronique me vient à cet instant, notant au passage que, contrairement à nous, les arbres se dénudent pour affronter l'hiver.L'autobus se remplit, les visages se fondent, et ...

...parvenus à destination, nous serons anonymes. Mais Montréal, elle, nous garde pour elle seule.
Je la regarde d'en bas mais je sais qu'elle ne me regarde jamais de haut. Ici chacun est libre d'exercer - et d'exprimer - sa liberté, de conserver son identité, son inspiration. Le centre ville est le foyer de mon activité quotidienne, mais une partie de mes pensées demeure toujours projetée vers le ciel dégagé, ouvert, bleu, incandescent. J'aime prendre le même autobus car son trajet et sa destination délimitent les frontières à partir desquelles je peux imaginer - puis réellement tracer - de nouvelles voies pour visiter des amis, pour changer de saison et de vocation, pour changer d'humeur et de projet.
Si Montréal prend tant de place dans ma vie, c'est parce que Montréal, depuis longtemps, me donne de la place.

Le 1er décembre 2011

Les vies 2: Tous aux abris!

Dans mon quartier les citoyens rivalisent d'ardeur pour monter leur abri tempo au plus vite (pour les non Québécois, un abri tempo est un abri temporaire, une sorte de garage souple pour protéger une voiture de la neige durant l'hiver.)
La compétition a commencé le 5 octobre lorsqu'un voisin audacieux a déballé ses barres de métal, sa toile et a monté son gros mécano en trois heures. Tout blanc, tout neuf, l'abri tempo a trôné fièrement seul dans la rue une semaine durant. C'est le temps qu'il a fallu aux voisins pour rire de lui, puis se dire que finalement ils seraient bien avisés de l'imiter. Il n'a fallu que trois jours pour qu'une autre série de voisins rient en choeur avant de se décider eux aussi à redéfinir l'architecture du quartier. Depuis, l'effet boule de neige s'est produit, et je suis l'un des rare à encore rire de mes voisins. En fait je ne ris plus, et ma voiture se sent nue la nuit.
Je veux moi aussi installer un abri tempo. Non par conformisme - ce qui arrivera en fin de compte - mais par intérêt, car déneiger une auto, cela prend une heure.
La neige est translucide, et moi je suis lucide.
Je crois maintenant que mes voisins rient de moi, en se demandant si j'aurai monté mon abri tempo avant la première tempête.
Le compte à rebours est lancé...