Rechercher dans ce blog

jeudi 31 décembre 2015

Fin de chantier

Ainsi donc l'année s'achève. Et avec lui mon long silence.

Je fais référence à mon silence sur ce blogue et dans les médias sociaux. Un silence trompeur, car en réalité je faisais plein de bruit. Du bruit de pelle et de pioche, du bruit de coups de marteaux, de visseuse électrique et de scie mécanique. Du vacarme de gars de la construction, avec de la sueur et le vocabulaire qui va avec. Je brisais le silence avec de la poussière, avec des planches qu'on sort et qu'on rentre, avec des essais et des erreurs et l'impatience qui va avec.

Un bruit pas virtuel pantoute! J'en garde les mains sèches et grafignées : ça change du clavier, mettons.

J'ai un intérêt bien caché pour les travaux, et je me suis surpris moi-même d'y consacrer tant de temps sans me lasser. Six mois de fins de semaine sans interruption. Mais c'était pour la meilleure des raisons : rendre ma maison encore plus accueillante et plus durable.

Venons-en aux faits!

Oui, oui, venons-en aux faits! Des tas de petites et grosses réparations auraient dû être faites depuis des années, mais j'attendais d'avoir stabilisé la bâtisse. Stabilisé la bâtisse? Batinse! Bon, la maison repose sur un sol argileux qui s'est peu à peu affaissé au fil des années depuis 1959. J'étais pas né quand le terrain a commencé à bouger, ni quand la terre a commencé à tourner, d'ailleurs. Tout bouge tout le temps, mais la plupart du temps on ne s'en rend pas vraiment compte. Je ne suis propriétaire de ladite maison que depuis 2010 : un bon cru dans les taux d'intérêt et le passage de la cigogne avaient motivé son achat. Et puis, c'est une maison construite à une époque oû les entrepreneurs pensaient encore à la durabilité, avec un beau cachet, trois chambres à l'étage, du plancher à grandeur, un grand jardin, et... et je m'égare. Tenons-nous en aux Faits, comme dirait l'inspecteur Clouzeau*. Voilà que des fissures apparaissent dans le coin avant gauche du parement en 2011. Questionnements. interrogations. "C'était-tu là avant?" "Ben, j'pense pas...". On rebouche lesdites fissures, mais à la fin de l'été, voilà qu'elles se sont agrandies. Viarge! On re rebouche avec du re ciment et re rien pendant tout l'hiver. Mais au printemps suivant : les maudites craques continuent de s'élargir. Il y en a deux, assez rapprochées, et une partie du parement s'est avancé vers l'avant. Coudonc, on est tu sur un bateau? La croisière ne s'amuse plus.


Pieux vs sécheresse.

Après maintes analyses, réflexions, consultations (archives géologiques de la Ville de Montréal, entrepreneurs, voisins, ouvrages de pataphysique...) nous avons appris que :


- la sécheresse de l'été 2012 au Québec a favorisé l'affaissement rapide des sols argileux";
- les bâtisses qui s'affaissent sont nombreuses à Montréal;
- une cinquantaine de maisons ont subi des affaissements dans notre quartier ces 20 dernières années;
- si elle manque d'eau, l'argile se compacte et perd de son volume;
- l'argile ne prend ni ne reprend jamais de volume sous l'effet de l'eau;
- pour arrêter une maison de s'affaisser il faut la pieuter.

CQFD, le budget vacances est investi dans 7 pieux d'acier pour redresser un peu la maison, et - surtout - la stabiliser pour les 100 prochaines années au moins.

Je fais un raccourci sur l'étape suivante de ma démarche qui a consisté à magasiner un entrepreneur, négocier un contrat avec lui - on parle de gros oeuvres, alors on ne laisse rien au hasard - coordonner les travaux avec le nouveau voisin qui va lui aussi stabiliser sa maison. Nos maisons sont mitoyennes et reposent sur une seule et même dalle de fondation, sur une seule et même logique : pieutons ensemble pour faire monter davantage l'édifice et faire baisser davantage le prix. Sollicitation et obtention d'une subvention d'1/6 e du prix auprès de la Ville de Montréal.




Chantier de construction

Je pieute, il pieute, nous pieutons, et voilà qu'en août 2015, la maison est redressée, les fissures résorbées ou colmatées, les pieux enfoncées de 32 pieds dans le sol...et... soupir de soulagement.
Le temps est alors venu pour moi de me mettre à l'ouvrage.

La clôture de bois prolongeant la façade de la maison sur son côté gauche et donnant accès au jardin est à refaire. J'ai commencé par scier en morceaux l'ancienne clôture (datant de 1974) afin que la ville puisse les ramasser, extraire les vis et clous trop dangereux, tordre contre le bois ceux, nombreux, qui restent. C'est drôle comment une clôture de 20 pieds prend de la place une fois démontée! Ensuite, il a fallu extraire du sol les anciens socles des piliers de la clôture, ce qui m'a pris pas mal de sueur. J'ai monté la nouvelle clôture deux pieds plus loin afin qu'elle soit exactement au même niveau que la façade avant, ce qui n'était pas le cas avec l'ancienne. Enfoncer les socles dans le sol s'est avéré plus facile, sauf que j'ai fait une erreur d'alignement et j'ai dû en extraire un pour le replanter... 3 pouces plus loin. J'ai coulé leurs bases dans le béton. J'ai acheté du bois traité, installé les nouveaux pieux, et commencé à monter la clôture une planche à la fois, à l'aide d'environ 300 vis. Honnêtement, je ne vous conseille pas de faire cela sans visseuse électrique... Ma clôture est plus haute que l'ancienne, et plus robuste. L'espace pour la porte est large et la porte aussi; je dis cela, car j'ai fabriqué la porte au sol, puis l'ai monté ensuite entre deux pieux. Sauf qu'elle était trop lourde. Bien trop lourde. J'ai cogité un bon bout en maugréant ma stupide erreur et sur la manière de la corriger. Et la meilleure solution, à mon avis, fut de faire une porte en deux parties, genre Saloon. Chaque partie est beaucoup plus légère pour se tenir droite sur les pieux et on ne risque pas d'être catapulté si elle se referme sur vous à cause du vent. Ça arrive!

La porte de 4 x 7 pieds, trop lourde.

La garnotte dont les entrepreneurs se sont servis pour combler une partie la tranchée doit être enlevée car : 1) ils en ont mis trop, et 2) j'ai besoin de créer une plate bande de terre sur 2 pieds de large et de profondeur le long du côté gauche de la maison, celui qui donne sur le jardin. Résultat, je me ramasse au bout de deux semaines avec un excédent de garnotte gros comme le tas de bois de la clôture. Mon entré de maison ressemble donc vraiment à un chantier de construction. Et si la ville ramasse le bois, elle ne ramasse pas les cailloux. Mais alors que vais-je en faire?&!

Une idée me vient en passant devant un nouveau chantier à deux rues de chez nous : en creusant la chaussée pour réparer un tuyau, les ouvriers ont laissé un énorme tas de...cailloux. Une grue se chargera de les mettre dans la benne avoisinante. À la faveur du soleil couchant, j'ai osé, malgré mes nombreux scrupules, me délester comme un vilain garnement de ma garnotte pour garnir le tas de garnotte des travaux municipaux en la garochant sans être vu des gardiens de la paix ou de la moralité. Mais au bout de deux voyages - les cailloux dans des seaux, les seaux dans ma voiture, ma voiture dans la nuit, je me suis dit qu'il fallait que je trouve un autre chantier car ça n'avait pas d'allure. Imaginez le voisin à sa fenêtre qui voit, de nuit,  un inconnu déverser furtivement - comme si c'était possible!? - des tas de cailloux sur le gros tas de cailloux dans sa rue. Ben... c'est arrivé.
J'ai réussi à trouver un autre chantier à 5 minutes, et à venir à bout de mon fardeau tel un fardier.

Et je suis repassé une semaine plus tard pour m'assurer que tout avait été ramassé.

Dans la maison

J'ai passé l'automne à refaire l'isolation de la porte d'entrée et de la porte latérale qui donne sur le jardin, à isoler les murs de la grande pièce de mon sous-sol, choses que je ne pouvais pas faire avant que la maison soit stabilisée. Et me voilà dérivant vers l'hiver à réparer un robinet, une chasse d'eau, à changer des lampes, à nettoyer les outils, à sortir puis ranger les décorations pour Halloween, à sortir celles pour Noël, à examiner les tuyaux de chauffage au fuel qui sortent de la fournaise du sous-sol comme les tentacules d'une pieuvre mécanique serpentant dans les plancher et les murs. Une chambre reçoit trop peu de chaleur car le circuit emprunté par un des tuyaux est trop long et trop sinueux. J'ai compté, ce maudit tuyau change onze fois de direction avant d'aboutir à la chambre située deux étages au dessus! C'est Brazil!** Mais ceci est un autre chantier.

Écrire, c'est bricoler

Quand on bricole, l'esprit divague parfois, il se détend entre deux efforts, reprend de la perspective entre deux tâches minutieuses, cherche un nuage en s'extirpant des tranchées, interstices, racoins et autres espaces contigüs dans lesquels il faut bien se loger si l'on veut parvenir à masquer la partie invisible de la maison : ses tuyaux, ses drains, ses fils électriques, ses membranes isolantes, ses vis, écrous, boites électriques, solives...Et cent fois je me suis qu'il faudrait me remettre à écrire sur ce blogue, à ne pas laisser s'installer la distance, car malgré ma certitude de ne pas le laisser tomber, vous, chers lecteurs la seule chose que vous savez c'est que je suis resté muet. Mais j'ai choisi mes priorité, et cette été et automne, j'ai voulu soigner cette maison et l'aider à traverser le temps. Tandis que j'étais là, donc à colmater, ranger, espacer, joindre et séparer, bricoler le squelette, le corps et l'âme de notre maison, je n'ai pas cessé de trouver des idées et des trouvailles à coucher sur le papier, des mots et des sujets à cimenter, des paragraphes à connecter, des personnages entre lesquels faire passer le courant, l'alternatif comme le continu, au sens propre comme au figuré.

La maison est hantée de connexions tout comme l'esprit de ses habitants. Et si l'on aménage son foyer comme on agence ses pensées, c'est peut-être surtout pour mieux y accueillir les autres.

Bonne année à tous les bricoleurs et ceux qui les supportent.



* Voir répliques de l'inspecteur Jacques Clouzeau (joué par Peter Sellers) dans le long métrage "A Shot in the Dark" de Blake Edwards.
** Voir le décor de la maison de Sam Lowry (joué par Jonathan Price) dans le long métrage "Brazil" de Terry Gilliam.