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jeudi 26 juin 2014

Pluviométrie morale (suite)

La pluie est le grand perturbateur de l'humeur. Il suffit de quelques gouttes au milieu d'un mariage ou d'une communion pour que tout le monde fasse la grimace en courant égoïstement s'abriter. Une pluie, et la fête des enfants dans le jardin est aussitôt reportée dans la salle de jeux. Un orage en ville? On rentre dans la galerie commerciale la plus proche. Rien de tel pour mesurer votre humeur que de se faire saucer? Testez par vous-mêmes. Quelle est votre réaction lorsque le ciel est lourd, gris et humide? Qu'est-ce qu'une fin de semaine sous les précipitations? Qu'augurez-vous de bon quand les cumulus perdent leurs couleurs virginales?

Je pense que la pluie peut nous aider à améliorer notre humeur et notre caractère. Passé les premiers réflexes de mécontentement et de frustration, laissez-vous bercer par la pluie comme par le soleil. Passez la main par la fenêtre, tendez l'oreille. Roulements de tambour, orgie de sensation sur votre peau. Abreuvez-vous à même le ciel, embrassez-vous comme au cinéma sous l'averse qui tombe à point nommé. Sautez dans les flaques, juste pour voir! Rejouez à Woodstock, repaissez-vous des nuages dissolus! Chamanes, sorciers urbains, exaltez-vous, car sous la pluie tout est permis: les cris, les rires, les sacres, les accolades, les mains dans les mains, dans les cheveux. Tous sous le même toit de pluie effondré. Tous dans le même bateau, sauf Noé.

À quoi bon se lamenter en attendant le soleil? J'ai passé toute la première partie de ma vie sous le ciel du Nord, en France, autant dire sous les foudres d'un ciel de miséricorde; à Lille (chef lieu du Nord, région la plus au nord du pays), il pleut en moyenne 180 jours par an. L'humidité, je connais! Pour tous ses habitants, la devise de ce coin de pays est : " Dans le Nord, on n'a pas le soleil dans le ciel, mais on l'a dans le coeur ". Tout est dit, et j'aurais pu commencer ma chronique par cet aphorisme sans en dire davantage.

En 2001, sur l'île de Victoria ( à l'ouest de Vancouver, dans le Pacifique) j'ai affronté malgré moi 72 heures de pluies torrentielles en passant par toute la gamme des émotions. En marchant avec mon sac à dos le long d'une des rares routes de cette grande île en partie non habitée, j'ai ruminé ma malchance en ne trouvant aucune place de camping, là où une voiture m'avait aimablement déposé. Je me suis donc lancé dans une longue marche vers le prochain campement, lorsqu'une moisson sortie de nulle part s'est abattu d'un seul coup sur ma tête. Il n'a fallu que 10 minutes avant que je ne sois trempé intégralement. Une centaine de mètres plus loin, mes chaussures étaient noyées. La nuit tomba aussi rapidement que la pluie entre les grands arbres, et je n'ai pas croisé l'ombre d'un refuge de fortune. Les deux fossés qui séparent la route de la forêt étaient devenus deux rivières infranchissables, et aucune voiture ne passa. J'enrageais, je m'entêtais et poursuivis nerveusement ma route qui semblait s'allonger sans fin. Avais-je dépassé l'entrée du campement? Existait-il? Étais-je encore ici? Il ne me resta qu'à avancer coûte que coûte, sous la pluie qui ne se calma pas. Le ciel allait t'il finir par se vider? Que nenni! J'eus la sensation de porter cinq kilos de flotte supplémentaire tant mes guenilles étaient trempées. En pensant à l'imperméabilité toute relative de mon sac à dos, je me mis à crier tout seule dans la nuit. Pouvais-je me perdre? Pouvais,je porter encore davantage de pluie dans mon bagage et dans mes chaussures désintégrées par l'eau? Puis je me mis à rire nerveusement de cette incroyable et pourtant banale situation. Je ris pour me redonner du courage, puis je ris pour rire, pour tromper la miséricorde, puis je ris enfin de joie de connaitre une telle expérience, alors qu'il était évident que je ne trouverai aucun campement cette nuit. Je finis par trouver une sortie, elle mena à une plage, je le sentis sous mes pas, je trouvai un coin, déposa mon sac, monta la tente en essayant de ne pas trop laisser rentrer la pluie, renonça à utiliser mon sac de couchage trempé comme jamais, je m'endormis lentement sous la lune flottante et le tambour des gouttes qui commencèrent un peu à s'espacer. C'est là l'un des meilleurs souvenirs de ce voyage (cette forêt immense se gorgeant de pluie! Cette marche intemporelle dans des ténèbres sereins! Cette aventure insolite au détour d'un banal manque de préparation!)

La pluie fait jaillir les larmes les jours de tristesse pour mieux les diluer ensuite.

La pluie est un signe pré-alphabétique qui abreuve les mystiques aux discours arides de fin du monde alors qu'elle en est le commencement.

Elle désertifie les villes en enterrant les masses maugréantes, elle fait éclore les fleurs comme les coupoles funestes des parapluies.

Pluisse (!) le ciel ne jamais nous décevoir.

© Stéphane Aleixandre (2015)

2 commentaires:

  1. Superbe billet mouillé !
    Je te rejoins quand au plaisir que procure la pluie.
    Le ressenti est parfait.
    J'ajouterais ma théorie quand cette perturbation de l'humeur.
    Les mamans n'aiment pas la pluie.
    Maquillage, coiffure et autres habits ne sont pas fait pour ça...
    En nous éduquant, elles nous projète du déluge qui pourrait nous atteindre.
    On les comprend bien....
    Avons nous le même rapport à la nature étant citadins ?
    J’adore toujours me jeter dans la boue.
    Après tout ce temps, je suis grand et fais ma lessive comme tel :-)

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    1. Ha, ha, merci Olivar. L'homme de la Mancha n'a pas peur de se mouiller, à raison! Les ambitions peuvent si facilement se dessécher. Au plaisir.

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