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jeudi 24 janvier 2013

Sécurité aérienne. (Question de sécurité, quatrième partie)

 Avertissement: Ce texte peut être soumis à des changements de cap et autres manoeuvres délicates. Ils sont le fruit d'un goût prononcé pour l'audace rédactionnelle.

Le grand mérite de la sécurité aérienne est qu'après avoir inventé le pilote automatique, elle a donné naissance au passager automatique. Quoi, un passager automatique? J'entends déjà la tour de contrôle crier sur la fréquence d'urgence: "Mayday, Mayday! y a-t'il un passager dans l'avion?"

Passager automatique

Le passager automatique est celui pour qui prendre l'avion ne signifie rien de plus que de se rendre du point A au point B le plus rapidement possible; il a cessé d'être émerveillé par la magie de voler, pour confier, les yeux fermés, sa vie à des normes de sécurité et à des hommes et des femmes comme vous et moi. Prendre l'avion est devenu pour lui un automatisme. Le passager automatique parcourt souvent davantage de kilomètres en avion qu'en voiture au cours de sa vie. Que fait-il donc à bord d'un avion? À part voyager, il mange, il regarde des films, il écoute de la musique, il dort, le tout dans un ordre/désordre routinier intégré sur terre. La vue, autrefois imprenable, qu'offrait le hublot s'est rapidement transformé en simple clin d'oeil dans son vécu.

Être passager n'est plus un exploit ni même un acte de fierté. Voyager dans les airs est devenu, pour le commun des mortels, aussi facile et aussi habituel que de prendre le train ou le bateau, deux modes de transport autrement plus anciens. Le décollage d'un avion reste une prouesse technique à chaque fois, mais humainement, l'expérience ne suscite plus l'émerveillement tel que l'ont connu les frères Wright.

Nous sommes 5 milliard de passagers chaque année, parmi lesquels beaucoup voleront plusieurs fois au cours de leur existence (au moins deux, si nous n'émigrons pas). À chaque instant, nous sommes 500 000 humains flottant en plein ciel, dans l'un des 80 000 avions qui décollent chaque jour de par le monde (29,2 millions par an). Ces statistiques, fournies par l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale, excluent les données sur l'aviation militaire: ces dernières pourraient nous surprendre.

L'engouement pour l'aviation civile des premières années (1940-1950) a laissé place à une intégration complète du déplacement aérien dans nos comportements. Mais ce portrait, si vertigineux soit-il, n'est pas complet si nous occultons le fait qu'une partie significative de la population mondiale ne dispose pas des moyens de prendre l'avion. D'un point de vue global, les 5 milliards de passagers restent, malgré tout, des chanceux.

Le succès ininterrompu de l'aviation civile, depuis ses débuts, est essentiellement le résultat d'une culture de la sécurité. Or il n'existait pas d'autre voie pour voir émerger une telle réussite.
Sur le plan technique, voler c'est en réalité, ne pas tomber. Si vous laissez aller à elle-même une voiture, un train ou un bateau sur une voie dégagée, il va continuer sa route, puis s'arrêter. Si vous laissez voler un avion sans agir, il finit toujours par tomber. Et se détruire.

Cette évidence cache le fait que l'avion n'est qu'une combinaison vertigineuse de contraintes, et donc de paliers de sécurité pour les contourner. Résistance des matériaux pour qu'ils ne brisent pas sous l'effet de la vitesse, puissance des moteurs pour qu'ils atteignent la vitesse indispensable pour décoller et pour que l'avion ne retombe pas, volume des réservoirs pour transporter la quantité énorme de carburant nécessaire pour nourrir les moteurs et effectuer de longs trajets, aérodynamisme de l'avion pour être porté par l'air et ne pas décrocher, techniques de pressurisation pour pouvoir respirer à 15 000 pieds, radars, sondes, instruments de navigation pour ne pas se perdre dans un environnement pauvre en repères visuels et sensoriels (à bord d'un avion en vol, par exemple, le corps humain ne détecte pas certains degrés d'inclinaison.)

Cette chaine ininterrompue de paliers de sécurité se prolonge hors de l'avion: longues pistes pour que l'appareil puisse atteindre la vitesse de décollage nécessaire (à laquelle l'interruption du décollage n'est plus possible) et puisse freiner à l'atterrissage, tour de contrôle et radars pour guider les appareils, machines pour nettoyer les pistes, pour dégivrer les ailes (avec 2 cm de glace sur les ailes, un avion ne vole plus), aérogares pour peser les bagages et compter les passagers et ainsi définir la quantité de carburant et la longueur de piste nécessaires, normes techniques et linguistiques pour harmoniser la maintenance et les communications à travers le monde, toute rupture de communication étant ici de mature périlleuse.

Question de sécurité, se sont ajoutés la ceinture de sécurité, le masque à oxygène, les avertisseurs lumineux sur et dans l'avion, le gilet de sauvetage, les toboggans, et le petit dépliant individuel qui vous explique comment utiliser tout ce qui précède. Question de sécurité encore, les compagnies attribuent généralement les places devant les portes à des personnes jeunes et en bonne condition physique. Vous l'aurez deviné, la sécurité aérienne est si impressionnante et si discrète que le passager automatique n'y prête quasiment plus attention; il regarde rêveusement l'hôtesse chorégraphier les consignes de sécurité telle une ballerine revêtant et ôtant son gilet et son masque sans se décoiffer, en lui rendant son sourire si familier, si rassurant. Depuis 2001, les fouilles douanières plus méticuleuses et la présence militaire dans les aéroports ont toutefois tendu le climat et accru la méfiance envers nos semblables.

Harmonie homme - machine

La question de la sécurité aérienne est si omniprésente dans l'esprit des pilotes, des agents de bord, des douaniers, des contrôleurs et des gouvernements que les failles demeurent de rares exceptions. Que ce soit dans le cockpit, dans la cabine ou dans la tour de contrôle, chaque procédure est doublée, chaque action est vérifiée et validée. L'harmonie homme - machine est permanente, comme dirait le pilote automatique.

Si les automobilistes adoptaient la rigueur des pilotes d'avion, les arbres généalogiques d'un nombre impressionnant de familles s'en trouveraient modifiés. Finies les coupes massives et brutales dans les élans de la jeunesse. Finies les interruptions soudaines des familles en devenir. Finis les coûts exorbitants des polices d'assurances et des dommages collectifs. Loin de nous, les contrecoups d'une sécurité répressive qui alimente la méfiance envers la sécurité! Les moyens technique fiables et la sécurité non invasive existent, mais le métal se tord trop souvent sous la force de la négligence : on ne parle pas ici de télékinésie, mais bel et bien de faculté humaine d'adaptation affaiblies par la nonchalance ou l'habitude.

Le grand défi qui se profile à l'horizon de la sécurité aérienne, ce n'est pas un barbu menaçant ou un explosif invisible. C'est, plus que la sécurité maladive qui ausculte nos réactions épidermiques devant les détecteurs, la taille insuffisante des aéroports, la gestion critique des couloirs aériens dont le réseau ressemble de plus en plus à un cordon de fibres optiques compressées. Ce sont les files d'attentes de plus en plus longues des passagers dont le nombre augmente sans cesse, les files d'attente des aéroplanes au décollage et à l'atterrissage. C'est le bruit amplifié des réacteurs et leurs volutes de kérosène sur la voûte céleste. C'est finalement la mondialisation du ciel qui, chaque jour, rapproche un peu plus les peuples et du même coup les avions les uns des autres. Il n'est malheureusement pas encore possible pour des avions de ligne de voler en groupe comme une nuée d'oiseaux, les modèles qui nous ont inspiré l'idée même de voler.

Retour sur terre

J'ai commencé cette série de publications sur la sécurité après avoir observé que nous étions littéralement enveloppés de sécurité. La naissance passe par un bracelet autour du poignet et une inscription à l'état civil, le mariage est un contrat, employeurs et salariés s'entendent sur des clauses et des recours. Votre animal de compagnie est tatoué. On ne roule pas sans permis, on ne quitte pas le pays sans passeport. L'argent dans votre poche est une forme d'assurance face à l'insécurité, la pénurie, l'avarie. Votre ordinateur est un cimetière de logiciels de sécurité périmés. Les milliards de serveurs accumulent des trillions de fichiers de sauvegarde.

La nuit le lève, je ferme le cellulaire et repose enfin mes cellules nerveuses avec lesquelles il a jonglé toute la journée. Dentifrice pour prévenir les caries, crème pour prémunir la peau contre je ne sais plus quoi, miroir pour sécuriser l'image que je me fais de moi avant qu'elle se fasse chahuter dans un rêve improbable peuplé d'événements vivants. Pendant le rêve, le corps humain est programmé pour être immobile et la plupart des muscles sont inopérants. Question de sécurité. Seuls les somnambules peuvent se lever en dormant: heureusement, car ce serait la folie à bord de l'avion qui me ramène sur terre.

Post scriptum:

- Sécurité juridique (présomption, contrats, normes);
- Sécurité commerciale (garantie, signature, publicité, zonage);
- Sécurité économique (argent, modélisation, taux);
- Sécurité esthétique (modes, standardisation des formes et des couleurs, formatage, numérisation);
- Sécurité privée (milices, gangs, alarmes, armes)
- Sécurité intellectuelle (conformisme, censure, brevets, logique, archivage);

Autant de thèmes sur lesquelles on pourrait se pencher sans se retourner pendant un siècle. Ce qui n'empêche pas la terre de tourner sans savoir où elle s'en va, fort heureusement.

© Stéphane Aleixandre (2015)

4 commentaires:

  1. Le barbu n'a plus la côte dans les aéroports et les avions. Dès que la barbe dépasse les 10 cm, les regards deviennent suspicieux. Il serait dommage de croire que la sécurité ne tient qu'à un fil...

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  2. Quelle érudition mon cher neveu! Je te remercie car tu m'aides à comprendre pourquoi ta cousine adore son métier... J'abonde dans ton sens : tu sais l'aviation avait été créé pour être un transport d'élite et pas pour être un transport de masse... J'en reviens pas; ton écriture est juste, bien serré, ton propos étoffé... Pis, bon on va pas te le cacher, tu es le père de Frenchie!! C'est la cerise sur le sunday! affectueusement, Ma tante Anne xx

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  3. Merci, Anne!
    Frenchie fera probablement son baptème de l'air avec sa marraine. Ce sera le second, car le premier a été a sa naissance, quand il a goûté l'air ambiant pour la première fois : ).
    Le ciel reste à explorer, et plus proche que l'espace dont on ne sait que faire.

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