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jeudi 2 avril 2015

Lettre téléportée vers le futur

  Le 23 décembre 2014, le journaliste Fabien Deglise a proposé à ses lecteurs, dans une chronique du journal Le Devoir, de lui soumettre des idées sur ce qu'ils souhaiteraient léguer à l'humanité du futur. Cet héritage culturel serait logé dans une capsule temporelle enfouie dans le sol à l'attention des hommes et des femmes de...2115.
  Motivé par cette proposition insolite lancée hors de tout calendrier symbolique et de toute commémoration particulière, j'ai proposé d'inclure dans cette capsule une lettre.
  Pas un disque dur chargé de souvenirs, pas un enregistrement, pas un livre ou un kit de survie. Non, juste une lettre. Une sorte de réflexion sociosophique téléportée (!) sur une façon particulière de voir la vie en 2015. Je suis convaincu qu'elle aurait sa place à côté de tous les objets dont la capsule temporelle ne manquerait pas d'être chargée.
  Sachant que la proposition du chroniqueur ne se matérialisera pas au delà du récit, j'incorpore maintenant cette lettre à mon blogue à destination des lecteurs d'aujourd'hui et de 2115. Qui sait, ce seront peut-être mes descendants qui tomberont dessus. Ou bien les vôtres, va savoir...

« Chers lecteurs anonymes,
 Votre appel a été entendu . Et après un siècle, notre voix, enfin, peut sortir de son écrin sépulcral. Encore étourdi par la terre et la roche qui l'ont recouvert, son écho de poussière métallique vient soudain de se propager jusqu'à vous.
  Hier, il y a 100 ans, à l'initiative du journal Le Devoir, nous avons exercé notre imagination. Nous avons transmis nos idées aux profondeurs de l'oubli pour qu’il vous les dévoile en retour.
 Vous voilà si proches de nos oreilles à présent, si curieux des révélations que nos tombes peuvent laisser entendre ou sous-entendre!
Le cycle infini des idées et de l’imaginaire s'anime toujours sur les traces de ce existe déjà :
- les réseaux virtuels ont d'abord germé dans les réseaux génétiques et généalogiques, mus par essais et erreurs, doutes et hasard;
- les prothèses osseuses et mémorielles sont nées des corps manqués ou insatisfaits. Vous le savez, nous le savions, mais nous ne cessons pas de chuchoter à nos futurs voisins que la quête de l'inconnu et de l'idéal passe aussi par l'oubli.
 La transmission amoureuse sous toute ses formes, des plus anciennes aux plus évoluées, permet toujours d'être soi-même et de surmonter les contradictions, et notre culture n’est pas devenue un vestige, pas davantage que notre socialisation : chaque image, chaque son, chaque mot sont compilés dans les profondeurs de la mémoire virtuelle, c’est a dire, maintenant, de votre mémoire consciente et inconsciente, palpable et intangible. De celles qu’on ne peut comprendre sans les sentiments, les émotions, les rires, les larmes qui les ont enfantées :
- voici nos guerres que nul discours ne peut éclairer seul;
- voici nos bouleversements sociaux que nul image ne peut suffire à exprimer.
 Votre héritage tient dans la main, dans le fil d’ADN, mais sa lecture est irrationnelle et illogique, son désordre est indescriptible et permanent tant que vous n’y mettez pas un peu de votre humanité. 
 Nos impressions sont les seules choses qu’il nous reste a vous donner au delà de la distorsion de l’Histoire et du poids de la Terre ensevelie. À peine quatre générations nous séparent, à peine quatre générations nous unissent.
 Tout a été écrit, mais tout reste à dire : les révolutions et les frontières ne sont que provisoires, les migrations sont permanentes. Et ne vous détrompez pas : nous savions que nous étions facile et difficile à vivre, que nous étions dans le droit chemin autant que dans l’erreur en persévérant dans des stratégies de court terme :
- 100 ans découpés en décennies de technologie efficaces et dévorantes en ressource et en espoirs;
- 100 ans de paix mutilés en cycles de négociations de guerres commerciales;
- 100 ans d’individualisme pliés dans les courbes démographiques et migratoires gigantesques;
- 7 milliards de réponses en quête de leur question fondamentale.
 Tout ce que vous lisez et voyez dans notre passé n’est peut-être finalement rien d’autre que notre vibrant et immortel espoir : celui de vous entendre transmettre, à votre tour, la voix qui transpercera les silences de tous les rêves devenus poussière. »

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